Lors des Assises de l’Audiovisuel de ce début de semaine, Emmanuel Gabla, conseiller du CSA, a évoqué une idée qui trotte dans la tête de quelques-uns des professionnels du secteur…
“Est-ce que ces fournisseurs de contenus [NDR: diffuseurs historiques et SMAD nationaux] ne doivent pas être assurés d’être vraiment reçus, peut-être de manière un peu différente de ceux qui n’y contribuent pas du tout ?”
L’enjeu est simple: les obligations d’acquisitions (et/ou de financement) et d’exposition des oeuvres françaises ne s’appliquent (malheureusement) qu’aux opérateurs locaux (chaînes de TV, services de VOD ou de SVOD). Ces derniers luttent et vont devoir lutter davantage pour conserver leur place dans les mosaïques d’accueil des FAI et autres plates-formes.
On ne connaitra que plus tard, ou jamais, comment cette Cité du Cinéma fut rendu possible. Hier soir, Luc Besson recevait quelque 300 invités pour l’inauguration des lieux.
J’avais eu la chance d’une visite préalable: neuf studios, dont l’un actuellement occupé par le tournage des intérieurs du film Malavita, avec Robert de Niro; un hall immense, la nouvelle école de Besson, l’institut Louis Lumière, des bureaux loués à des producteurs indépendants, le siège d’EuropaCorp…
Si l’on oubliait la température – presque glaciale -, nous pouvions nous croire sur le lot de la Warner ou de la Paramount.
L’enjeu est d’abord industriel. Trop de tournages se délocalisent à l’étranger. En particulier en Belgique ou au Luxembourg. Le dumping fiscal de ces voisins est ahurissant.
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Et si les chaînes de télévision préachetaient moins cher ces films français qui se délocalisent ? La mesure fera froid dans le dos à quelques-uns du métier. Mais après tout, il est quand même paradoxal que notre système national, si vertueux pour financer plus ou moins complètement jusqu’à 200 films par an, soit incapable d’imaginer quelque coercition contre une telle concurrence déloyale.
Le film Intouchable est en passe de devenir le film français le plus vu au monde. En France, il a déjà battu bien des records. A Canal+, nous ne sommes pas très inquiets pour sa prochaine diffusion, en décembre.
Quand le succès en salles est devenu incroyable, la société Gaumont nous a demandé de décaler (légèrement) la diffusion sur Canal+. La sortie en DVD et en VOD allait elle-même être décalée plus tard que les délais minima qu’autorisent la chronologie des médias.
Nous espérions un gros succès, il fut là à l’arrivée.
Dans le grand débat sur l’offre légale, Intouchables est exemplaire. Qui prétendra que ce film fut insuffisamment accessible au grand public ? A la rigueur, on pourrait critiquer le prix pour accéder au dit film: c’est vrai, il faut encore payer sa place pour aller en salle. mais ce débat n’est pas celui qu’on nous oppose sur l’offre légale.
Pour le dire autrement, Intouchables sera aussi le film le plus vu par le public français ces 12 derniers mois, et le plus plus contraint par cette fichue chronologie d’exploitation.
Qui dit mieux ?
Personne, répétons le terme: personne n’a encore fourni une quelconque analyse sur qui pirate quoi. J’ai mon idée. On pirate ce que l’on connaît. Et celles et ceux qui nous avancent qu’il y a des « précieusetés » cinématographiques cachées que de méchantes Majors cachent à l’oeil d’un public fébrile de cinéphilie sont bien imprudents…
C’est un Twitto qui m’a lancé cela il y a quelques jours. « Ce public qui pirate n’est plus le vôtre », disait-il à propos du piratage des oeuvres.
Le nôtre ?
Il a peut-être raison. L’enjeu d’un média culturel comme CANAL+ est de n’oublier personne. Et certainement pas les jeunes. Le cinéma et les séries étrangères, qui me préoccupent pour des raisons professionnelles évidentes, sont des terrains de jeu privilégiés.
Nous ne cachons plus notre souci à accompagner, soutenir, développer un cinéma français qui s’adresse à toutes et à tous y compris des 15-25 ans qui, demain, seront nos abonnés.
Nous n’y sommes pas encore totalement. J’ai déjà partagé ici et ailleurs combien cet enjeu était multiple. C’est une affaire de sujet, d’esthétique, de comédiens, de traitement.
Mais quand nous visons justes – comme avec les Karaï cet été ou les Beaux Gosses il y a 3 ans, le carton est là et assuré.
Quel joli casse-tête pour la future autorité de régulation qui sera issue du rapprochement entre l’ARCEP et le CSA.
Une chaîne de télévision a les plus grandes difficultés pour diffuser des programmes violents à des horaires de grande écoute. C’est bien normal, il faut protéger la jeunesse.
Voici que le studio TROMA, que les afficionados de séries B connaissent très bien, a décidé d’exposer gratuitement sur YouTube quelque 150 films d’horreur. Cette programmation fournit un bel exemple pour comprendre l’ampleur des écarts de régulation qui existent entre notre monde linéaire et le vaste Web
1. Inutile de préciser que les films sont sans contrainte particulière d’accès ni même, évidemment, de pictogramme indiquant la violence de quelques scènes (je vous conseille Decampitated). On imagine le casse-tête du CSA sur une pareille diffusion à toutes heures.
2. Tous ces films sont américains et YouTube n’a que le statut d’hébergeur, pas d’éditeur. Oubliez donc les quotas de diffusion… Si nous voulions faire de même sur Cine+ Frisson, par exemple, il nous faudrait trouver 150 films français et 75 films européens en complément des 150 Tromamovies, pour respecter les équilibres réglementaires.
3. Enfin, comme YouTube fait bien les choses, chaque diffusion est précédée d’un pre-roll publicitaire (et donc de revenus) qui, évidemment, ne rapporte pas un centime de contribution à la création française et européenne.
J’oubliais un dernier point: sur notre TV connectée familiale, nous avons YouTube sur grand écran à la maison.