Avez-vous regardé l’épisode du Capitaine Marleau diffusé par France 3 le 3 octobre dernier ? Il y a de fortes chances… si vous avez plus de 50 ans, comme les trois quarts de l’audience de cette série ce soir-là. Son succès est indiscutable. Il a surpris les observateurs : plus du quart des téléspectateurs présents devant leur poste regardaient la fiction de la Trois. Une semaine plus tard, face à un match de l’équipe de France de football qualificatif pour la prochaine Coupe du monde en Russie, le capitaine Marleau résiste encore.
La fiction française est faite pour qu’elle performe auprès de celles et ceux qui s’accrochent encore à la diffusion linéaire et programmée, un public plutôt âgé, qui vieillit avec elle. Les chiffres ne mentent pas. En septembre, les plus de 50 ans ont ainsi passé 5 heures par jour en moyenne devant le petit écran. C’est énorme, plus du double du temps passé devant le même petit écran par les moins de 35 ans. Bien servir ce public âgé est comme une bouée de sauvetage pour notre télévision nationale.
Cette stratégie est pourtant un cercle vicieux, et sans doute le meilleur chemin vers une dégringolade certaine. Nos chaînes nationales de télévision cherchent l’audience linéaire la plus importante. Cette audience est âgée. En lui donnant satisfaction, elles font fuir un public plus jeune qui n’en demande pas moins puisqu’ils ont d’autres distractions. Pire, cette audience âgée, par définition, vieillit d’année en année. Et donc, dans 5, 10 ou 15 ans, comment réussiront nos diffuseurs nationaux à convaincre une audience qui n’a jamais pris l’habitude de regarder ce que le petit écran historique lui a proposé dans sa jeunesse ?
Rattrapage. Car la chute de la consommation télévisuelle linéaire des plus jeunes est devenue massive. YouTube a 12 ans, Facebook cartonne en vidéo, Netflix frôle les deux millions d’abonnés dans l’Hexagone, la télévision de rattrapage s’est généralisée dans les foyers français après son lancement il y a dix ans. Il ne s’agit plus d’une curiosité adolescente, mais bel et bien d’une désertion massive qui concerne les moins de 35 ans dans leur ensemble.
Certains se rassurent : a priori, le danger n’est pas si grand. Nos plus jeunes regardent certes ailleurs mais ils ne font que regarder en différé ce que les plus vieux regardent en direct. Pour preuve, les statistiques américaines, toujours en avance sur nos mesures européennes : 50 % des Millenials regardent la télé, mais en différé. En France, les études sur le profil des audiences du replay sont balbutiantes. Les diffuseurs maîtrisent mal les données de consommation sur leurs audiences non linéaires.
Cette désertion de la diffusion linéaire par les moins de 40 ans pose pourtant déjà un double problème. A la différence des États-Unis, les chaînes françaises ne savent pas (encore) monétiser aussi correctement les écrans publicitaires sur leurs diffusions à la demande que sur leurs diffusions linéaires. Ce n’est plus le cas aux Etats-Unis où l’essor d’un Hulu, joint-venture entre 4 des 5 networks nationaux, touche justement la bonne cible publicitaire et génère des revenus plus significatifs que les dérisoires compléments publicitaires du replay français. Ensuite, les diffuseurs américains s’adressent réellement à tous les publics, tous les âges des nouveaux prime-time audiovisuels. Il n’y a qu’à observer la programmation européenne d’un Netflix, qui hérite en exclusivité de nombreuses fictions américaines délaissées par nos diffuseurs nationaux, pour s’en convaincre.
Cette chronique a été publiée dans l’Opinion le 12 octobre 2017.