(REPLAY) Demain, tous prisonniers des algorithmes?

 

Il y a un sujet commun aux économies de l’Internet et de la culture qui intéresse enfin au-delà du cercle des professionnels initiés : les algorithmes. La manipulation de l’information à l’occasion de l’élection présidentielle américaine par les algorithmes de certains réseaux sociaux a choqué. Mais depuis deux ans, les professionnels de l’audiovisuel français s’intéressent aussi aux risques posés par ces mêmes dispositifs dans l’offre audiovisuelle.

Il y a longtemps, chacun pouvait se sentir prisonnier de sa situation sociale, de sa culture familiale ou acquise, ou de sa situation géographique. La massification de l’accès à la culture, grâce au numérique, avait créé beaucoup d’espoirs. On a cru alors que les algorithmes remplaceraient les directeurs des programmes des diffuseurs traditionnels, qu’ils seraient le compagnon indispensable de cette libération de l’accès. L’arrivée de Netflix en Europe fut ainsi l’occasion de commentaires parfois béats sur sa recommandation personnalisée et automatisée.

Qui pourrait se plaindre de se voir offrir les programmes correspondant le mieux à ses goûts et ses envies ? Pourtant, force est de constater que les algorithmes ont fini par doucher ces espoirs d’accès illimité et de découverte facile.

Les algorithmes posent d’abord des questions sur le respect de la vie privée : comme pour les réseaux sociaux, ils s’appuient sur des données personnelles. Par exemple, Netflix personnalise jusqu’aux visuels des programmes qu’il fait apparaître sur la page de recherche de ses abonnés sur la base d’un enregistrement systématique de nos consommations.

Un algorithme trop puissant se doit d’être déloyal pour être efficace. C’est un paradoxe

Quotas de diffusion. Les algorithmes font aussi obstacle à l’un des piliers de la politique de soutien à la création européenne, les quotas de diffusion. Imagine-t-on un algorithme recommander 40 % de programmes français à chaque requête de son utilisateur ?

Ensuite, ces algorithmes enferment les spectateurs dans leurs goûts initiaux et leurs pratiques. Ces dispositifs, expliquait le CSA, « peuvent en partie déposséder les individus des choix qu’ils pourraient faire spontanément et ainsi réduire leur libre arbitre.» Le numéro deux du groupe TF1, Ara Aprikian devant la mission parlementaire d’information pour « Une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique », rappelait fort justement que « la télévision s’adresse à tous. Elle favorise la cohésion sociale, quand les plates-formes numériques et les algorithmes sont dans une logique d’atomisation ».

Enfin, pour tout média audiovisuel, un algorithme trop puissant se doit d’être déloyal pour être efficace. C’est un paradoxe : primo, tout diffuseur qui se met à produire son propre contenu tente de convaincre ses spectateurs de le consommer en priorité. Secundo, rares sont les médias qui disposent de la profondeur du catalogue nécessaire à servir toutes les envies. En janvier 2017, le CSA avait ainsi publié un rapport sur le sujet, et l’on pouvait y lire combien ces algorithmes « portent l’empreinte des partis initialement pris par leurs développeurs. »

Cette « culture de l’algorithme », qui est une affaire de marketing, est l’une des irruptions les plus violentes de la loi de la demande dans cette économie de l’offre qu’est l’audiovisuel.

 

(Chronique publiée le 25 avril 2018 dans l’Opinion)

Pourquoi la vidéo à la demande par abonnement s’éparpille

Coup sur coup en quelques semaines de cet été 2017, voici Disney, Paramount et peut-être Fox (*) qui annonçaient des lancements de services de vidéo à la demande par abonnement propriétaires. Exit donc les partenariats lucratifs avec les Netflix et Amazon ?

Disney a surpris en déclarant lors de sa dernière communication financière qu’il n’entendait pas renouveler l’accord de distribution de ces films en première exclusivité avec Netflix. Viacom confirmait lancer un service en Scandinavie baptisé Paramount+, qui proposera des films inédits tels « Baywatch » ou « Transformers : The Last Knight », mais aussi des séries et émissions telles « South Park » et « Inside Amy Schumer ».

Les téléspectateurs pourraient se réjouir. Les premières réactions furent différentes. Cet éparpillement poserait un problème de choix : qui va s’abonner à 3 ou 4 services d’une dizaine d’euros mensuels chacun alors que Netflix ou Amazon proposent déjà une offre riche ?

La réalité est plus complexe.

Premièrement, aucun service de vidéo à la demande par abonnement n’a jamais été une vidéothèque exhaustive. La profondeur des offres varie puisque les ayants droit commercialisent différemment leur catalogue d’un pays à l’autre. Netflix, qui domine le marché occidental, a même réduit son approvisionnement externe, à fur et à mesure que ses productions originales prenaient de l’ampleur.

Deuxièmement, comment reprocher aux studios de chercher d’autres débouchés ? La SVOD provoque des ruptures inédites : elle offre un usage sans limite, sur une durée longue, auprès d’un nombre d’abonnés massif. Donc les perspectives de revenus « aval » se raréfient. Les plateformes mondiales ont aussi le culte du secret sur les usages réels ; leur taille impose des rapports de force défavorables dans les négociations ; parfois, leur centre de gravité économique est ailleurs, sans rapport avec l’audiovisuel qui n’est qu’un artifice. Développer son propre service est une déclaration d’indépendance, une envie de maîtriser une évolution inévitable plutôt que de la subir.

S’ajoute le durcissement du marché. En Europe, les diffuseurs télévisuels préfèrent favoriser des productions locales, de qualité incontestable, mais qui correspondent surtout aux audiences vieillissantes du petit écran. Or les productions américaines, plébiscitées en SVOD, font le plein d’un public plus jeune qu’il faut bien toucher.

Troisièmement, le téléspectateur cinéphile ou sériephile ne devrait pas désespérer. Le marché est suffisamment large pour que l’oligopole Netflix/Amazon soit pris à partie. La facture ne sera pas forcément plus élevée : la SVOD suit un modèle sans engagement, qui permet au spectateur d’aller et venir sans tout payer tous les mois. Elle est parfois couplée de façon indolore au sein d’offres payantes qu’elle enrichit sans surcoût.

Pour échapper à un nouvel oligopole, trouver de nouveaux débouchés, mieux connaître le public, ces services de compléments sont une nécessité.

 

Images Feux d'artifice
BonnesImages.com


Cette chronique a été publiée le 20 novembre 2017 dans l’Opinion.

(*) L’auteur de ces lignes s’exprime exclusivement à titre personnel. Aucun propos ni argument n’engagent 21st Century Fox, ni ses filiales ou actionnaires.