Comment Netflix capte le public jeune

AAAABRk6d842FI1nh6VBOPjmV-SnHe-cbPstL6sgBAd76_PE3fjAR7c3KeQVNywZb8434TzX4FUrhVWASy7A1kmNQ4GbVMZQnvr48R1r5nsCtu_YLtSkVk96Oe1HhB6QiA1ew7HxCZ1xjA

Le service public audiovisuel français a lancé Culture Prime à l’automne dernier, une initiative qui vise à proposer des vidéos courtes et culturelles à destination du public jeune, sur les réseaux sociaux. Elle s’ajoute notamment au lancement de France TV Slash (dont la saison 3 de SKAM vient de débuter), portée par France Télévisions, et au projet Salto porté par TF1, France Télévisions et M6.

Comment capter les jeunes ? La question est centrale pour les diffuseurs, au fur et à mesure que le public télévisuel vieillit. Il y a urgence : en France, la durée d’écoute télévisuelle des 15-34 ans a encore chuté de 20 minutes en octobre : 1 heure 50 contre 2 heures 08 en octobre 2017, alors qu’elle est stable, à plus de 5 heures quotidiennes, pour les plus de 50 ans. Et les GAFAN (avec un N comme Netflix…) se disputent, avec n’importe quel « contenu », sur n’importe quel écran, ce public des moins de 40 ans. C’est le cœur de la publicité comme de l’abonnement audiovisuel de demain.

Les plateformes de streaming s’adressent même prioritairement à cette cible. Le constat s’aggrave. Prenez le leader, Netflix : sur ses 73 séries originales proposées en France, la moitié cible adolescents et jeunes adultes via leurs thèmes, genres ou héros. En sus des productions Marvel, Netflix est aussi le diffuseur des séries diffusées aux Etats-Unis par la chaîne CW, avec quelques fleurons des rivaux DC Comics (Flash, Supergirl, Arrow) ou Archie Comics (Riverdale, Sabrina). Enfin, les nouveaux projets de fiction française du géant américain affichent tous le même prisme générationnel sur des genres variés – horreur, science-fiction, romance adulescente ou comédie décalée – mais traités à la marge par la fiction nationale. Netflix semble absorber toutes les séries signifiantes pour cette cible juvénile délaissée par les diffuseurs historiques.

Culture juvénile. L’américain a aussi créé un service techniquement sur-mesure pour les jeunes générations, disponible sur tous leurs écrans mobiles et que l’on partage avec simplicité et sans contrôle. Non sans risque. La multiconnexion, familiale ou pirate, a pris une ampleur inédite, surtout chez les jeunes : un tiers des utilisateurs de vidéo à la demande sur abonnement (SVOD) âgés de 15 à 35 ans profiteraient d’un abonnement qui n’est pas le leur (13 % pour les baby-boomers). Public boulimique, pouvoir d’achat contraint.

Mais ce ciblage générationnel est sacrément efficace : Netflix trône en tête de la plupart des classements des marques préférées des millenials. Les « streamers » ont gagné cette première bataille de l’attention en ligne. Plus largement, en France, d’après Médiamétrie, les utilisateurs quotidiens de SVOD, soit 3 millions d’individus, ont 31 ans en moyenne.

Il est donc urgent de relire et d’actualiser la formidable étude conduite par l’Insee et le ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français depuis 1970 : les effets de générations sont réels. La « culture juvénile » se renforce au cours du temps car les générations conservent en grande partie les comportements et préférences de leur jeunesse. Projetons-nous dans une dizaine d’années : certains diffuseurs auront du mal à convaincre demain les générations délaissées aujourd’hui, d’autres pas.

Le choc numérique d’aujourd’hui pourrait être le prélude à un choc culturel plus grave encore plus tard.

 

(Chronique initialement publiée dans l’Opinion)